Merci à tous ceux qui ont réagi pour revendiquer l'appartenance de la Tunisie à l'Afrique. Grace au soutien de la direction de la communication de l'unité africaine,voici en exclusivité le discours de Bourguiba à l'occasion de la création de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA). Ce discours a été prononcé il y'a 50 ans jours pour jours, le 25 Mai 1963 à Addis Ababa.
III. L’UNITE AFRICAINE
Son Excellence Habib Bourguiba,
Président de la Tunisie.
L’unité dans la diversité
J’ai l’agréable
devoir d’adresser à votre éminente assemblée les salutations fraternelles du
peuple tunisien et ses vœux de plein succès pour nos travaux. C’est la seconde
fois en peu de d’années que les Etats indépendants d’Afrique se réunissent à
Addis-Abéba, ce bastion héroïque de la liberté africaine. Je ne puis, sans
émotion et sans fierté, évoquer l’épopée éthiopienne. Ce fut le début d’un combat
décisif qui devait se terminer, en Afrique et ailleurs, par la défaite
inéluctable et définitive du colonialisme. Qu’il me soit permis, du haut de
cette tribune, de rendre un vibrant hommage à la volonté inflexible et au
courage indomptable de Sa Majesté l’empereur Haile Selassie Ier.
L’homme, qui hier a sauvé l’honneur de l’Afrique et qui, aujourd’hui, met sa
sagesse et son expérience au service de ses grands desseins.
Nous sommes venus
ici avec la volonté d’examiner et, si possible, de résoudre ensemble les
problèmes d’intérêt commun. Nos problèmes sont difficiles et nombreux; nous en
prenons conscience chaque jour davantage. Mais ils se ramènent pour l’essentiel
à trois préoccupations dominantes :
- Achever la
décolonisation du continent;
- Mobiliser
toutes ses ressources matérielles et morales, pour une lutte efficace contre le
sous-développement;
- Jeter les bases
de l’Unité africaine qui se profile naturellement au bout de la perspective
d’émancipation politique et économique de l’Afrique.
Ces trois
propositions sont étroitement complémentaires. Elles définissent, sur un plan
universel, trois étapes nécessaires de l’éternelle lutte de l’homme pour la
dignité.
I. La décolonisation de l’Afrique
La majorité des
pays africains sont ici representés en tant qu’Etats indépendants et
souverains. Comme une peau de chagrin, l’ombre de la domination coloniale se
rétrécit à vue d’œil. Poussé dans ses derniers retranchements, le colonialisme
s’épuise en combats d’arrière-garde – meurtriers et inutiles – ou sombre dans
la haine et dans l’aveuglement. La répression fait rage en Angola et dans
l’Afrique du Sud. Le feu couve au Mozabique et en Rhodésie du Sud. En présence
d’une situation aussi alarmante, le devoir des pays indépendants d’Afrique est
clair.
Nous devons
renforcer par tous les moyens l’action poursuivie sous l’égide et dans le cadre
des Nations unies, et fournir une aide suffisante et ininterrompue aux peuples
qui luttent pour leur liberté et, jusqu’à cette libération, rendre intenable la
position des dernières enclaves coloniales en Afrique.
Il ne serait
peut-être pas superflu d’indiquer que, dans notre esprit, la décolonisation
implique non seulement la fin de toute forme de domination coloniale, mais
aussi l’élimination de toutes les séquelles qui tendent à perpétuer l’influence
du colonialisme et à favoriser ses entreprises, avouées ou inavouables. Il
arrive souvent que l’émancipation politique ne trace pas de frontière bien
nette entre la dépendance et la liberté. Il faut alors une action ferme et
persévérante pour éliminer, l’une après l’autre, les séquelles du statut
colonial et restituer à l’indépendance son plein sens et toutes ses
prérogatives.
Une telle action
n’est pas exempte de risques. Mais nous l’avons jugé nécessaire, quel qu’en fût
le prix, car l’indépendance, première étape dans la reconquête de la dignité,
rend les peuples maîtres de leur destin. A partir de l’indépendance, tout
devient possible. Et en particulier l’action méthodique, cohérente et soutenue,
en vue d’améliorer la condition matérielle et morale des hommes; ce qui ouvre
la voie à la réalisation du deuxième objectif, à savoir: la lutte contre le
sous-dévelopement en vue d’assurer la justice et la prospérité.
II. Lutte contre le sous-développement
Dans une telle perspective, l’indépendance apparaît,
non plus comme une fin en soi, mais comme la proclamation solennelle d’une
aspiration irrésistible des peuples vers le bien-être et le progrès.
L’indépendance constitue par conséquent un pas décisif vers la dignité qui
n’est ainsi acquise que partiellement. Parce que la dignité n’est accessible
aux peuples indépendants que lorsqu’ils sont libérés de la faim, de la maladie
et de l’ignorance. Dans ces conditions l’émancipation politique de l’Afrique ne
peut être qu’un prélude nécessaire à la mobilisation des énergies et de
ressources en vue d’élever le niveau moral et matériel des hommes.
La lutte contre
le sous-développement, engagée à l’échelle du continent africain est une
entreprise d’une ampleur exceptionnelle.
Elle nécessite:
1.
Une action profonde et vigoureuse sur les structures mentales en vue de
réformer les structures économiques et sociales.
2.
Une aide extérieure en capitaux et en cadres, donc une coopération, autant
que possible équilibrée avec les pays industrialisés ;
3.
Une coopération étroite et active avec les autres pays du continent
africain.
I.
L’action sur les structures et les habitudes cristallisées par un long passé
de stagnation reflète, dans chaque cas, l’orientation économique et sociale des
politiques locales. On peut noter cependant un effort assez généralisé
d’exploration de la voie africaine du socialisme. Le but de cette action est de
favoriser une prise de conscience globale de préparer le milieu humain à
affronter les tâches du développement et d’assurer la justice entre les hommes.
II.
La coopération avec les pays industrialisés, riches en capitaux, en cadres
et en expérience technique, est non seulement souhaitable, mais inévitable pour
les pays en voie de développement. Il n’y a pas d’alternative. Récuser une
telle coopération par crainte des résurgences du colonialisme est une position
qui peut se justifier sur le plan du sentiment ou de la logique pure. Mais
c’est tout de même une position peu réaliste. Accepter l’aide des anciennes
puissances coloniales, c’est parfois courir un risque réel, j’en conviens. Mais
la refuser, c’est s’isoler et se condamner à la stagnation.
Je crois qu’il est possible de sortir
de ce dilemme. Pourvu que l’on ait la volonté bien arrêtée de mettre fin à la
dépendance, dès que l’on sera en mesure de le faire, on doit accepter de
coopérer même si, au départ, cette coopération n’est pas toujours équilibrée.
Si on l’accepte quand même et en connaissance de cause, c’est parce que c’est
le seul moyen de se dégager de la dépendance. Autrement, la crainte paralysante
du néo-colonialisme pourrait bien confiner les pays récemment émancipés dans un
état de faiblesse chronique, donc de dépendance et de sous-développement
prolongés.
Entre la coopération acceptée comme
un moyen d’accéder à la liberté par le progrès économique et social, et la
coopération qui sert de façade au colonialisme, il n’y a pas une différence de
nature, mais de finalité. C’est avant tout une affaire de conscience pour le
responsable qui l’accepte. Parce que nous savons que nous savons ce que nous
voulons et où nous allons, nous n’avons jamais eu de complexe. L’indépendance
de la Tunisie n’en a nullement souffert. Bien au contraire!
Si la coopération entre les pays
africains et les pays industrialisés sur une base bilatérale est plus courante,
malgrè les risques qu’elle peut comporter, la coopération avec les ensembles
économiques a des chances d’être mieux équilibrée et moins suspecte.
L’idéal serait évidemment que l’aide
extérieure, quelle qu’en soit l’origine, fut dispensée selon les besoins, sous
l’égide et par les soins de l’organisation des Nations Unies.
Internationalisée, l’aide aux pays sous-développés ne serait plus suspecte de
servir les desseins de la guerre froide. Une telle solution ne semble malheureusment
pas près d’être retenue. Dans l’état actuel des choses et étant donné les
besoins pressants des pays sous-développés, nous ne pouvons faire autrement que
d’accepter l’aide des pays dévelopés, en insitant toutefois sur le fait qu’elle
répond à l’intérêt bien compris de ceux qui la fournissent et de ceux qui la
reçoivent. C’est un pont jeté par-dessus le fossé des inégalités. Les pays mieux
pourvus doivent être conscients des dangers qui menacent la paix de monde tant
que l’humanité sera divisé en sous-alimentés et en bien nourris.
III.
Dans le domaine de la coopération entre pays africains, nous en sommes
encore au stade des approches. Les cloisonnements, les différences de tradition
et de langue hérités de l’ère coloniale, l’insuffisance des moyens de transport
et de communication, les particularismes, les arrière-pensées et quelque fois
les malentendus n’ont guère encouragé les progrès de la coopération inter-africaine.
Elle reste pourtant éminemment souhaitable dans son principe et dans ses
effets.
Tout le monde reconnaît l’urgence d’une
action concertée sur les marchés extérieurs. Personne ne conteste sérieusement
la nécessité d’organiser des marchés intérieurs de dimensions suffisantes pour
soutenir un effort d’industrialisation qui demeure le moyen le plus sûr
d’arracher les économies africaines au sous-développement.
Tout nous incite donc à nous
rapprocher, à explorer en commun les perspectives d’une coopération nécessaire
et bénéfique, à confronter nos expériences et nos idées, à multiplier nos
échanges et nos contacts afin d’élargir indéfiniment le champ de l’intérêt
commun.
Des résultats encourageant ont déjà été
enregistrés grâce à l’action efficace et méthodique des Nations Unies et des
institutions spécialisées. Il conviendrait d’appuyer une telle action et
d’étendre son champ d’application à ces domaines précis, de façons à faire
ressortir la solidarité des intérêts et à relever l’interdépendance qui seule
préparera l’unité.
III. L’UNITE AFRICAINE
Dans un continent
qui émerge à peine de l’ère coloniale, affaibli et divisé, l’unité a forcément
une résonnance profonde et une grande force d’attraction. Mais elle est encore
un noble idéal, vers lequel nous tendons et en vue duquel nous devons agir.
Nous préférons,
quant à nous, voir les choses comme elles sont. Nous nous connaissons à peine
et nous n’avons guère eu le temps de faire l’inventaire de ce qui nous
rapproche et de ce qui nous divise. Nous avons à effacer tous les
cloisonnements hérités de l’ère coloniale. Il ne faut pas oublier que l’Afrique
est restée très longtemps un continent ouvert sur le monde et fermé sur
lui-même.
Poser l’unité
comme une chose imminente, facile, qui se fera par l’adoption d’une motion,
d’un manifeste ou l’élaboration d’une constitution risque d’aboutir à des
déceptions.
Nous devons bâtir
sur le réel avec sagesse et pondération. Ce qui est réel, c’est que les peuples
de l’Afrique aspirent à une certaine unité d’orientation, expression d’une
prise de conscience commune à l’égard des problèmes du continent.
Une telle unité
d’orientation est possible dès maintenant. Elle peut se dégager de nos débats.
Elle peut nous aider à prendre des positions communes dans les affaires
internationales, à rapprocher nos objectifs, coordonner nos efforts et
harmoniser nos tendances dans la lutte pour le progrès économique et social.
Faisons ensemble
l’apprentissage de l’unité! Pour mieux nous connaître, apprendre à nous
estimer, à comprendre les problèmes de chacun et l’intérêt de tous. Il faut
habituer les esprits à l’idée de l’unité et à ses implications matérielles et
morales. Une sérieuse préparation psychologique est nécessaire, sans laquelle
rien de valable ne pourrait être fait.
Car l’unité, en
dernière analyse, ne peut venir que du consentement des peuples, consentement
réel, profond et librement exprimé. Elle ne peut en aucun cas être imposée par
les moyens de la contrainte ou de la subversion mis au service d’une volonté
d’hégémonie. Le désir d’hégémonie ou le complexe de supériorité, c’est le ver
dans le fruit. Lorsqu’un partenaire veut dominer dans un ensemble, c’est
l’éclatement à plus ou moins brève échéance. L’expérience des dernières années
est là pour en témoigner.
Nous ne croyons
pas qu’il soit dans l’intérêt de l’Afrique d’aller au-devant de pareilles
mésaventures. L’unité est une œuvre de longue haleine. Il ne faut pas forcer la
marche de l’histoire. Nous devons construire solidement sur une base de
consentement populaire, d’estime réciproque et de respect de toutes les
souverainetés. Rien de durable ne saurait se faire dans le feu des
improvisations hâtives et des flambées sentimentales. L’unité de l’Afrique se
fera dans le rapprochement sincère, la négociation loyale et la démocratie.
C’est le vœu que je forme pour l’avenir de notre continent.
La Tunisie, qui
espère avoir gagné votre estime par son réalisme, son sens de la mesure et son
dévouement constant à la cause de la liberté, du progrès et de la justice en
Afrique, demeure disposée à faire tout ce qui peut aider à franchir le premier
pas dans la voie de l’Unité africaine.
Des expériences
sont en cours dans certaines régions de l’Afrique qui tendent, par des contacts
périodiques, soit à l’organisation d’une coopération limitée à certains
domaines techniques, soit à la mise en place progressive d’un ensemble
économiquement intégré. Nous avons vu ailleurs en Afrique des tentatives plus
ambitieuses et plus spectaculaires d’intégration plus poussée. Elles ont tourné
court et sont finalement soldées par un certain recul de l’idée unitaire auprès
des peuples.
Quoi qu’il en
soit, les ententes régionales peuvent jouer un rôle important dans le
développement de l’Afrique. Nous savons, en effet, que les pays industrialisés,
fournisseurs d’assistance technique et d’aide en capitaux, préfèrent traiter
avec des ensembles plutôt qu’avec des pays isolés. D’autre part, il est plus
facile à des pays groupés au sein d’un ensemble, d’harmoniser, dans le cadre de
programmes communs, leurs politiques économiques et sociales. Ainsi les
ententes régionales favorisent à la fois la planification de l’aide extérieure
et celle de leur propre développement.
Pour toutes ces
raisons et pour d’autres qui tiennent aux affinités multiples qui existent
entre nos peuples, nous avons formé de longue date, en Afrique du Nord, le
projet d’édifier le Grand Maghreb arabe. Mais il a fallu attendre la fin de la
longue guerre d’Algérie qui s’est terminée heureusement par
la victoire de la liberté sur l’asservissement.
Nous espérons
pouvoir, avec le temps, triompher des derniers obstacles et mettre en place un
ensemble maghrébin valable et viable, pouvant renforcer sérieusement l’Unité
africaine dont nous devons, ici-même, jeter les bases.
Cette conférence peut très bien, comme tant
d’autres avant elle se terminer après beaucoup de discours éloquents et des
débats animés par un certains nombre de motions, manifestes, prises de position
ou déclarations d’intention qui ne changeront rien à la situation de l’Afrique.
Mais, si vous le voulez bien, notre conférence fera exception à la règle.
Alors, elle sera déterminante pour l’avenir de notre continent. Nous devons
dépasser nos divergences, prendre conscience de notre solidarité, nous
convaincre de notre interdépendance et fonder définitivement et sincèrement nos
rapports sur la compréhension, la confiance et le respect des souverainetés.
Des propositions concrètes ont été faites, discutées
et élaborées par nos ministres des Affaires étrangères. Nous ne nous séparerons
qu’après les avoir mises au point. Il nous restera alors à les mettre en œuvre méthodiquement.
Ce n’est pas par je ne sais quel scepticisme que nous souhaitons, pour
notre part, procéder pas à pas. C’est, bien au contraire, parce que nous avons
foi dans l’Unité africaine, parce que nous la considérons comme un bien précieux,
parce que nous partageons les grands espoirs fondés sur notre action pour la
faire réussir, que nous voulons éviter la précipitation et les faux pas au bout
desquels il y a souvent la déception et, enfin de compte, le désespoir.
Si nous savons éviter ces écueils, l’union africaine des patries pourra
apporter une solution originale au problème de l’ «unité dans la
diversité».
Du coup, s’en trouvera décuplé notre effort vers le
bien-être et le progrès, et renforcée notre action collective pour la défense de
la paix dans le monde.
Voilà les grandes taches qui nous attendent.
La délégation tunisienne les aborde avec la ferme
volonté de réussir.
Commentaires
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