Dhahié

Dhahié est la banlieue sud de Beyrouth. Rouham ! une tres bonne amie a moi s'est rendu là bas dernierement !elle m'a envoyé ce temoignage que je partage avec vous !

Les ruines de guerre étaient impressionnantes, mais bien inférieures à ce que j'aurais imaginé. Quelques magasins étaient même ouverts avec leurs propriétaires assis a leur seuil comme au temps d'avant guerre.
Quelques ménagères se montraient aux balcons endommagés. Quelques piétons et motocyclistes traversaient l'espace très rapidement, dédaignant les ruines autour d'eux. La route était surchargée de voitures, en majorité des taxis, défilant en silence comme lors d'une procession. Ils contenaient surtout des gens comme nous venus pour voir Dahié après les bombardements sauvages. En général, cet après midi, l'animation dans les rues de Dahié, pouvait être qualifiée de normale, ou de presque normale.

Mais, quelque chose n'était pas normal ou presque normal dans Dahié cet après midi. Il y avait une sorte de consternation dans l'air. Pour une raison indéfinie les gens se déplaçaient, se dévisageaient, se parlaient et même s'embrassaient comme des automates, comme s'ils faisaient semblant de vivre.

Soudainement j'ai compris pourquoi. En passant près d'un amas de béton qui avait été quelques jours plus tôt un immeuble animé de dix étages, une odeur indescriptible me pris à la gorge. J'ai alors remarqué les masques. Il y en avait de toutes les formes et de toutes les couleurs. Presque tout le monde en portait; La ménagère nettoyant son balcon, le commerçant lorgnant nonchalamment ses clients potentiels, les passants, les motocyclistes, les chauffeurs de taxi, les spectateurs, les sentinelles armés. Les masques étaient partout.

J'ai du me rendre a l'incroyable évidence: Les gens tués par les raids étaient encore là, sous les décombres de leur maisons. Leurs corps inaccessibles se décomposaient au rythme de la nature, ignorant le cessez-le-feu et la renaissance de la vie dans leur quartier. Ils flottaient dans tous les coins, entraient tous les poumons, enlevaient la vie à tous les regards, déterminés à rester dans ce monde qu'ils ne voulaient pas quitter.

J'ai fait comme tout le monde; j'ai ignoré l'odeur et occupai mon esprit à compter les bâtiments détruits, à appeler mes souvenirs de la région, à discuter de la situation politique avec le chauffeur. Mais les morts anéantissaient tous mes efforts. Leur omniprésence réduisait ma résistance à une pure absurdité.

J'ai convaincu le chauffeur de me laisser descendre pour acheter des cigarettes. J'avais besoin de communiquer avec l'un de ceux qui sont obligés de vivre et de travailler dans l'odeur de leurs voisins morts. Quand le jeune homme au masque chirurgical vert me tendit mon paquet de cigarettes, je lui dis:
"N'auriez vous pas un Seven Up? J'ai un de ces vertiges". Il me répondit:" C'est l'odeur. Vous devriez mettre un masque pour venir ici". "C'est vrai", dis-je, "cette odeur est très forte. Qu'est ce que c'est?". Il a paru surpris par ma question et pour seule réponse il a détourné son regard. J'ai alors entendu distinctement son cri de honte silencieux.

Etrange voyage! Je pensais aller a Dahié pour constater les dégâts de la guerre. Je me suis trouvée dans l'autre monde.

Rouham